Des vies parallèles

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A travers les mots de Josée Kamoun

Lara a quarante ans, son compagnon vient de la quitter, un an auparavant elle a perdu sa mère. Bref, de quoi avoir le moral dans les chaussettes. Et elle l’a. Un jour, en zappant les programmes de télévision, elle tombe sur un reportage sur la catastrophe de Tchernobyl, où les survivants et les familles des décédés sont interrogés. A ce moment précis, ce qu’elle appelle « l’effet Tchernobyl » se produit dans son esprit. Loin de cautériser les plaies de sa vie, ce reportage les ouvre comme elles ne l’ont jamais été. Les souvenirs de son enfance et adolescence et le secret de ses parents qu’elle a découvert à l’âge de 12 ans remontent à la surface.
C’est grâce à l’atelier d’écriture auquel elle participe pour « sauver » ses dimanches qu’elle parvient à poser des mots sur ses blessures. L’idée d’écrire tout cela. Mais très vite elle s’interroge, se rend compte que dans la réalité les souvenirs remontent en vrac, sens dessus dessous, de manière anachronique, alors que dans une fiction, ils sont bien rangés, se succèdent de manière claire et ordonnée.
Elle s’aperçoit aussi de l’effet du temps sur les événements, le jeu de la mémoire qui transforme la réalité, atténue ou accentue certaines choses.

Lucy Caldwell est nord-irlandaise. C’est le premier roman que je lis d’elle, découverte par hasard en me examinant les rayonnages d’une grande librairie, assez surprise de trouver un nom si inconnu dans cette grande enseigne, et le dernier exemplaire de la pile ! Trop tentant, surtout quand on voit le nom de Belfast (et se dire que pour une fois ce n’est pas un polar sanglant).

J’ai aimé la mise en abyme du travail de l’écrivain et l’originalité de la construction de ce roman raconté à la première personne du singulier (Lara s’interroge sur comment écrire le secret de ses parents et les répercussions sur sa vie à elle, et sur sa vie d’adulte), puis, au milieu du livre, le basculement à la troisième personne pour donner la parole à sa mère par le truchement de la fiction.

L’histoire en elle-même reste assez banale :une histoire de double vie, d’un homme qui n’a pas pu faire un choix entre deux femmes et celle d’une femme trop amoureuse mais très malheureuse de la situation pour arriver à se sortir toute seule du piège qui se referme sur elle, s’enfonçant toute seule de plus en plus.
Le personnage de la mère de Lara agace et fait pitié à la fois, évidemment, en raison de la situation dans laquelle elle se met.
S’il n’y avait eu que cette intrigue, j’aurais jugé ce roman peu original. Mais il y a tout le reste et quelques jolies phrases qui atteignent leur but par la vérité qu’elles évoquent ou le comique de la caricature volontaire :

« La fiction nous permet d’échapper à nous-mêmes pour aller vers le monde. »

« Les maîtresses sont des femmes fantasques, follement séduisantes et françaises. »

Et puis, il y a Belfast (une ville que je déteste) :

« Des journées pareilles, on n’en a pas à Belfast, surtout en septembre. On n’en a déjà pas en juillet, ni en août, putain ! Tu sais qu’ils vendent des vacances aux Egyptiennes sur l’idée que la douce pluie irlandaise fera des merveilles sur leur teint. S’il ne pleut pas au moins la moitié du temps, on les rembourse. »

« En jouant des coudes, nous nous sommes faufilés dans une venelle pavée, encadrée par d’énormes paniers de fleurs suspendus ; elle était noire de monde.
« C’est le Duke of York, m’a-t-il crié. Ils ont de bons groupes en live, le jeudi, si jamais tu reviens. » Nous avons fendu la cohue et tourné à droite dans une rue plus large, et il m’a désigné des bars au passage. Le Black Box, qui avait une bonne programmation musicale, lui aussi ; le Spaniard, et puis, là-bas, le Merchant Hotel, mais celui-là, je le connaissais puisque j’étais descendue au Premier Travel Inn, en face. (…) le marché Saint George, particulièrement intéressant le samedi, avec des tas de stands dans l’esprit des marchés ruraux, un poissonnier correct, divers étals de gâteaux et de produits artisanaux ».

Il est rare qu’on présente Belfast comme une ville sympathique. Personnellement je ne suis pas encore capable d’avoir cette approche.

Un roman nord-irlandais qui n’est pas un polar, construit de manière originale pour mettre à nu le processus de création de l’écrivain.
A découvrir.

A propos Maeve

Blogueuse littéraire depuis 2009, lectrice compulsive depuis l'âge de 6 ans ^_^ .
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4 commentaires pour Des vies parallèles

  1. LadyDoubleH dit :

    Merci pour cette découverte ! Je le note !

    Aimé par 1 personne

  2. alexmotamots dit :

    Tu détestes la ville à ce point-là ?

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    • maevedonovan dit :

      Je ne la vois pas du tout comme une ville festive, même maintenant, comme le sous-entend l’un des personnages du roman. Il faut y être aller pour comprendre, et quand je dis y être aller, c’est être aller hors du circuit touristique bien tracé.

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